L'HISTOIRE DE SCORBUT

Imaginez un kolkhoze dans lequel on aurait remplacé les ouvriers agricoles par des dessinateurs. Imaginez un pays sans chef ni grouillots. Un Éden sans rédacteur en chef ni impératifs d’imprimerie : vous avez Scorbut !

 

Un matin, Wozniak se lève vers midi et, avec l’accent prononcé qui le caractérise (c’est son côté Jane Birkin : 20 ans en France et toujours des réminiscences du pays), se dit :

« Ma si, avec les zamis, on faisait oune site internet avec des dessins ? »

 

En 1998, scorbut.be se lance en proclamant « l’année footue ». Chaque semaine, Cabu, Wozniak, Kerleroux, Cardon, Delembre et Pétillon dessinent l’actualité pour une mise en ligne le mercredi dans la journée. Cette révélation, ainsi que la répartition en parts égales des bénéfices monstrueux engendrés par ce site gratuit, vaudra à Wozniak le surnom d’Ariane Mnouchkine de Scorbut.

 

Né sous la forme d’un site satirique, Scorbut est avant tout un collectif d’artistes renommés œuvrant dans une multitude de domaines : dessin, caricature, peinture, musique, sculpture ou encore l’élaboration de vitraux.

 

 

En 1998, à la veille de la Coupe du Monde en France, est lancé Scorbut, premier site satirique au monde. Fondé par Cabu, Kerleroux et Wozniak, tous dessinateurs du Canard Enchaîné, il est initialement destiné à protester artistiquement contre l’événement sportif et les sommes colossales alors dépensées par l’État pour son organisation. Une compétition qui, aux yeux des trois caricaturistes, résonne comme de véritables Jeux de Rome contemporains, destinés à détourner l’attention de la plèbe française des problèmes sociétaux de l’époque.

 

Chaque semaine, l’équipe publie dessins et courts textes, avec pour unique thématique le football, ses finances et les dérives qui l’entourent. L’engouement suscité par cette nouvelle plateforme d’expression pousse rapidement d’autres artistes à rejoindre Scorbut. Viendront appuyer la créativité du site des amis du Canard Enchaîné (Cardon, Guiraut, Delembre) et de Charlie Hebdo tels que Charb, Wolinski, Tignous, Luz ou encore Honoré.

 

Scorbut reçoit un bel accueil du public et des médias. Les articles et interventions radio à propos du site satirique sont élogieux et bienveillants. C’est tout naturellement qu’une fois la Coupe du Monde terminée, tous les dessinateurs décident de continuer l’aventure sur le web et d’élargir leur terrain de jeu. Écrivains, journalistes et personnalités du monde de l’art participent désormais au développement de Scorbut. Le collectif prend forme.

 

Ramon Chao et Ignacio Ramonet prêtent régulièrement leur plume. Manu Chao offre une série de poèmes inédits illustrés par son ami Wozniak. Anne Jouan propose une longue série d’interviews (Robert Plant, Archie Shepp, Amadou et Mariam, Elvis Costello…). Fredo Mano Tropo, de son vrai nom Frédéric Pagès, crée sur le site ses fameuses interviews imaginaires et ses faux journaux intimes. Christian dirige une rubrique sur l’histoire des dessins de presse, emblèmes de la liberté d’expression française.

 

Scorbut s’émancipe de plus en plus et fait ses premiers pas dans l’événementiel. En s’associant avec Jean-Baptiste Botul, philosophe né de l’imagination de Frédéric Pagès, le collectif propose l’organisation d’un baccalauréat dessiné. Dessinateurs et comédiens y improvisent en public sur les véritables sujets de philosophie délivrés le matin même aux jeunes lycéens.

 

Dans ce même esprit d’humeur et de satire, Scorbut et Botul organisent « Le Procès de Buffe » au Divan du Monde, à Paris — premier (et à ce jour seul) procès public de Jacques Chirac, avec Daniel Mermet dans le rôle du procureur, entouré de véritables avocats.

 

Dans ce même laps de temps, Scorbut décide enfin d’exposer ses dessins. L’événement a lieu à la librairie Mona Lisait, à Paris. Les œuvres de la série Sarkozy rencontrent un succès certain auprès du public.

 

À partir de 2008, Scorbut revient à ses premiers amours, et les textes laissent de plus en plus de place aux dessins, que beaucoup qualifient chaleureusement « d’impubliables du Canard Enchaîné ».

 

Dès 2011, une grande période d’expositions et d’éditions s’ouvre. La parution hebdomadaire prend fin au profit de publications plus spontanées, traitant davantage de sujets sociaux que de l’actualité immédiate. La colonne vertébrale de Scorbut — Cabu, Wozniak, Cardon et Kerleroux — alimente alors principalement le site.

 

En 2014, de nouveaux artistes sont invités à rejoindre le collectif en perpétuel mouvement : Vera Makina et Adelinaa, dessinatrices au Canard Enchaîné, le sculpteur Cébé, puis le vitrailliste Léo Ameri en 2016.

 

L’attentat contre Charlie Hebdo et la mort de Cabu n’entravent en rien la volonté de Scorbut de perdurer. Il est admis, dans ce cas précis, que le plus bel hommage est de continuer crayon en main. Le collectif de Scorbut en fait un devoir.

 

Le site s’est enrichi de documents d’archives et de vidéos, et ne cesse de multiplier les projets : organisation d’expositions, ciné-club, street art, collaborations avec le Prix de la Démocratie fondé par l’Institut Mars Saigner ou encore avec le DAL (Droit au Logement) font partie des activités en cours…