KERLEROUX  LA CLASSE CLASSIQUE...

KERLEROUX COLORS ( by wozn i a k )

KERLEROUX  POLI  POLITIK

KERL MOVIE


 

Kerleroux, le croqueur d’oxymores

 

 

 

 

 

C’est un nom qui sonne breton, mais Jean-Marie Kerleroux est né, avec le Front populaire, à Besançon. « Comme Victor Hugo, un peu par hasard ». Car il a bien un aïeul qui fut marin de bateau puis pompier de la marine dans le port de Brest. Mais c’est son officier de père, en se voyant affecté dans le Doubs, qui scella à l’Est le sort de sa famille.

 

Il n’est pas aisé, quand on rencontre ce grand feuillard aux racines franc-comtoises, tout de poils blancs barbu, imposant malgré son sourire chaleureux, son œil malicieux, d’imaginer qu’entre le dessin et lui, tout a commencé par une histoire de Babar le Léopard. Quoique notre homme, jouant sans cesse d’ironie et d’amusement, livre le secret de ses débuts avec un certain panache : « Les aventures du cirque de Babar le Léopard, c’était une sorte de BD que nous faisions, petits, avec mon frère comme scénariste. Une BD sans cases (comme lui qui n’entre dans aucune), qui se poursuivait feuille par feuille. » Voilà pour les tout premiers pas. « Et à la différence de la plupart des enfants, qui s’arrêtent au moment où ils essaient de dessiner Mickey, qui est un modèle… Euh… Bloquant, comme on sait ! Moi j’ai continué à dessiner, sur les marges des cahiers. Parce que quand mon père a été tué, dans la Résistance, j’avais huit ans et j’ai arrêté de travailler à l’école. Forcément, je n’avais pas emmagasiné beaucoup de connaissances, mais je suivais vaguement les cours, et je dessinais. »

 

A ses dix-huit ans, Kerl (1) convainc sa mère de l’inscrire aux Beaux-Arts de Besançon, avant de filer avec bonheur vers Paris, préparer les Arts Déco à l’Atelier Charpentier. « C’est là que j’ai vraiment appris à dessiner. J’avais vingt ans, c’est finalement assez tard ! Mais je n’avais jamais cessé... »

 

Le radiographe

 

du pornographe

 

Sa vie d’étudiant achevée, Kerleroux illustre toutes sortes d’oeuvres, plus ou moins littéraires, pour des commandes d’éditeurs. « Y compris des trucs minables ! ». Et même Sade, ce qui nous vaut une bonne poilade : « Sade, c’est fatigant. Il prépare des figures qui doivent se mettre… j’allais dire en branle, mais on peut peut-être dire en branle, oui ! Mais si tu te mets à les dessiner d’après sa description, tu te dis, c’est pas possible ! Ils s’écrasent ! Donc techniquement, c’est très difficile ! » Et Kerl d’assumer avec davantage d’enthousiasme l’illustration d’ouvrages de Stevenson.

 

Il travaille aussi dans la presse, dont « Politique Hebdo » dans les années 70, et reste aujourd’hui le dessinateur quasi-exclusif du « Canard enchaîné ». Mais au-delà de la chose politique, Kerl scrute et se repaît de la société qui l’entoure, de « gens » en tout genres. Non sans cruauté parfois, quoiqu’il s’en dénie, mais avec finalement beaucoup d’humanité. Kerleroux, et c’est tout son art, est le caricaturiste capable de dessiner un type beau et con à la fois en lui conservant une certaine sympathie. Comme si l’artiste s’étonnait sans cesse de la curiosité que constitue chaque être humain, chaque allure plus ou moins étudiée par celui qui la trimballe. « J’aime dessiner la façon dont les gens se campent, comment ils tiennent sur leurs pieds. Et toute mon existence de dessinateur, ça a été de faire tenir les gens debout, de faire en sorte que le dessiné puisse produire sur le spectateur l’impression… De quelque chose d’agréable, de quelqu’un qui se sent bien. » Chaque protagoniste de Kerl, quand il n’est pas une caricature politique, évoque les dizaines de personnes que nous croisons chaque jour. Mais lui sait les saisir. Le trait de son dessin, nerveux, laisse, à fleur de plume, la finesse se mêler à la violence pour faire triompher la satire. Les petits travers de chacun, les défauts sociétaux de tous se nichent aux creux de ses silhouettes; les propos de ses personnages disputent l’oxymore à l’antiphrase; le tout livrant un cocasse et salutaire jeu d’absurde.

 

 

 

Les petites boulotes,

 

les grandes snobes

 

 

 

Alors Causette n’a pas pu s’empêcher de poser la question : Et les femmes, Kerl, comment les vois-tu, les femmes ? « Ah… Eh bien les femmes, c’est comme les hommes ! Il y a des petites boulotes, des grandes snobes, il y a tout ! Moi ce que j’aime c’est regarder les gens. Et parmi les gens il y a les femmes. Pour un dessinateur homme, c’est un peu difficile de dessiner les femmes - surtout quand on est caricaturiste - parce qu’on les exagère, on les tire vers une espèce de laideur, évidemment. Et puis il y a un mystère de la femme… Qui fait que les dessinateurs hétérosexuels, quand il s’agit d’elle sont un tout petit peu… Tremblants, heureusement, enfin je trouve ! » Et son œil rit.

 

Car Kerleroux est un homme secret, pudique, et lui faire parler de lui n’est pas une mince affaire. Des femmes non plus. « Ce qui m’intéresse, ce sont les silhouettes. Alors il y a les femmes qui sont trop à l’aise, ou pas assez, celles qui ont des problèmes avec leurs corps… Les obèses par exemple. Parfois je croise des obèses qui affectent d’être heureuses, alors, je ne leur dis rien, hein, je pense par moi-même : « Est-ce que vous avez demandé autour de vous… » Mais il y a une espèce d’évidence de l’obésité maintenant, qui est à relier à un communautarisme, à l’américaine, où « je suis comme ça, c’est mon droit, m’emmerdez pas, je suis heureux d’être comme ça », et on en vient à fractionner la collectivité en tout un tas de petites catégories qui revendiquent chacune pour elles le droit d’exister. Le droit d’exister, d’accord, c’est primordial, mais le droit de… De s’améliorer, ça existe aussi. »

 

 

 

Alzheimer

 

chez les cons

 

 

 

Ainsi va l’artiste, à l’image de son trait, parti d’une silhouette pour finalement nous parler individualisme, libéralisme et idiosyncrasie. Et de poursuivre : « Il y a une chose qui me surprend encore, ce sont les femmes qui ne travaillent pas. Je m’étonne toujours que ça existe encore ! Qui ne travaillent pas ou qui font semblant, qui ont un métier bidon, qu’elles ont obtenu grâce à la position de leur mari. Sans parler du Rotary Club ! Et puis, il y a encore beaucoup de bonshommes qui n’ont rien compris et qui cognent. Pas seulement de leurs poings, mais aussi simplement parce qu’ils empêchent leur femme de s’exprimer. Le nombre de types qui finissent les phrases de leurs femmes en disant « mais non, t’as rien compris » et qui terminent leurs propos. Après t’entends dire « Je crois bien que ma femme, elle a l’Alzheimer », mais le mec, il lui a coupé la parole toute sa vie ! »

 

A la fin de l’envoi je touche, voilà bien tout Kerleroux, par-delà l’encre et la plume.

 

 

 

Lou Dantin

 

 

 

(1) Kerl, diminutif agréé par l’artiste, signifie notamment en Allemand : gaillard, grand diable, lascar, joyeux.